Nous n’avions pas prévu d’évoquer les élections américaines alors que nous souhaitions proposer une analyse à froid du psychodrame « Ceta ». L’actualité en a décidé autrement. Mais le détour sera bref. Etrangement, la colère d’une partie de l’électorat états-unien fait comme un écho à la surdité mutuelle des acteurs de l’imbroglio libre-échangiste.
Car, par une de ces pirouettes dont l’histoire a le secret, le TTIP, l’accord de libre-échange en gestation entre l’Union européenne et les Etats-Unis, que les détracteurs du Ceta brandissaient à corps et à cri pour appuyer leurs inquiétudes, risque très fort de rester au frigo pour les quatre prochaines années. Notre propos n’est ni de nous en réjouir, ni de nous en attrister, simplement de porter sur ces événements un regard dépassionné.
La grille de lecture sera la suivante. Et tant pis si nous sommes un peu trop schématiques. D’habitude, en politique, nous entendons des gens qui voudraient plus d’Etat. C’est la gauche. Son modèle de gouvernance est souvent étatique, du haut vers le bas. En face, il y a ceux qui pensent que le marché peut résoudre tous les problèmes des citoyens, c’est la droite, plus ou moins dirigiste. Entre les deux, il faut aussi compter avec des citoyens, regroupés parfois en organisations, que l’on appelle la société civile. Ils défendent souvent un surcroît d’autonomie, une forme d’initiative qui n’appartient ni à l’Etat, ni aux marchés. Et il faut bien reconnaître que dans toutes sortes de situations ce type d’action peut aussi résoudre certains problèmes de société.
Dans le cadre du Ceta, la Commission européenne tient un double rôle, très ambivalent. Elle fait office tout à la fois d’Etat et de partisan du marché. Elle incarne simultanément la droite et la gauche. La droite parce qu’elle souhaite promouvoir les marchés, le néolibéralisme. Et la gauche parce que, quoi qu’on en dise, le modèle de gouvernance intrinsèque des institutions européennes consiste à proposer une harmonisation, par le haut, de la façon dont nous vivons, produisons et consommons. Bref, en l’occurrence, la Commission européenne incarne la majorité des défauts de la droite comme de la gauche.
En face, nous avons une société civile qui, en Belgique francophone, concernant le Ceta, a fait montre d’un degré d’organisation et de ténacité sans précédent. Et comme la Belgique francophone a son contexte politique bien déterminé, un gouvernement fédéral de droite et des gouvernements régionaux, les opposants au Ceta ont fait feu de toutes parts et se sont enfoncés dans la brèche à brides abattues.
Dans cette histoire, il est surtout question d’institutions européennes foncièrement incapables de communiquer sur l’objet de ce qu’elles négocient et d’un chef de gouvernement wallon qui a réussi un « coup de com’ ». Les citoyens, eux, sont de la revue, et il faut bien dire que les grands médias ne les ont pas spécialement aidés à comprendre les tenants et les aboutissants de ce dossier.
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Si vous souhaitez en savoir plus, nous vous invitons à lire le second article d’André VERKAEREN (PROXIMITÉ) dans lequel il dénonce l’incapacité criante de la Commission européenne de communiquer dans la transparence sur les objectifs du CETA. En effet, cet abandon de souveraineté doit être contrebalancé par un devoir d’information. D’autant plus que la commune de Rixensart accueille GSK et que le CETA constitue une avancée majeure en matière de propriété intellectuelle, notamment dans le domaine pharmaceutique.
La négociation de ce traité de libre-échange met également a nu la volonté de certains acteurs politiques de tirer à eux la couverture médiatique, quitte à jouer sur les peurs les plus profondes de nos concitoyens.
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CETA … déficit de communication !
À Rixensart, il y a tout juste un an, notre conseil communal a voté à l’unanimité une « motion TTIP », dans laquelle notre commune exprime son « inquiétude quant aux négociations telles qu’actuellement menées dans le cadre du TTIP et son attachement au principe de précaution ».
La négociation d’un traité de libre-échange est, en l’état actuel, un sujet qui met à nu, d’une part, l’incapacité criante de la Commission européenne de communiquer dans la transparence sur les objectifs, positifs en l’occurrence, qu’elle poursuit dans le cadre de la négociation de ce type de traité, et, de l’autre, la volonté de certains acteurs politiques de tirer à eux la couverture médiatique, quitte à jouer sur les peurs les plus profondes de nos concitoyens.
Incapacité criante. Car en effet, il doit être écrit quelque part que, dès lors que des intérêts commerciaux sont engagés par des parties en négociation, les discussions doivent se dérouler derrière portes closes. Grossière erreur de jugement et mépris des règles démocratiques fondamentales. Le traité de Rome (1957) donne compétence à l’Europe pour négocier au nom de ses États membres tout ce qui concerne les échanges commerciaux internationaux. Cet abandon de souveraineté doit être contrebalancé par un devoir d’information, dont les autorités européennes sont bien incapables de s’acquitter.
Volonté de certains acteurs politiques de jour sur les peurs. Visiblement désireux d’exploiter ce déficit de communication de l’échelon européen, certains acteurs politiques ont jugé utile de mettre en exergue de prétendues failles du traité CETA, quitte à brandir des menaces inexistantes.
Avant de préciser plus avant de quoi il s’agit, une remarque préliminaire concernant Rixensart. Notre commune accueille GSK et rappelons que le CETA contient une avancée majeure en matière de propriété intellectuelle, notamment dans le domaine pharmaceutique. Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, le Canada a fait infiniment plus de concessions que nous. Comparé à l’UE, il fait figure de petit poucet. C’est lui qui a accepté de se mettre à nos normes. Le CETA est une occasion pour nous de faire jouer pleinement notre soft power en Amérique du Nord même, d’y créer un précédent, d’y enfoncer un coin avec nos normes, histoire de ne pas être dépourvus d’arguments au moment d’entamer le plat de résistance, c’est-à-dire le TTIP qui, lui, à n’en pas douter, pose des menaces autrement plus importantes, vu le poids du partenaire.
À l’heure où s’achève enfin le navrant feuilleton médiatique de l’adoption du CETA, les instances de la Belgique francophone ayant enfin donné leur aval, l’heure est venue de remarquer combien il est inquiétant de devoir constater que certains de nos responsables politiques jouent sur les craintes les plus profondes de nos concitoyens pour s’adonner à des coup d’éclat en matière de communication. De la même manière qu’il est navrant que la Commission européenne, lorsqu’elle négocie un traité de libre-échange, s’avère tellement incapable de communiquer, dans la transparence, l’objet même de ce qu’elle négocie.
En l’occurrence, les « amendements » apportés au CETA suite aux réserves du Parlement wallon ne changeront strictement rien au traité, qui n’est d’ailleurs pas modifié. Comme toujours, la politique est restée fidèle à sa réputation, celle d’être un grand théâtre. Les demandes des Wallons seront prises en compte mais, pour que personne ne perde la face, elles sont exprimées dans une série de documents séparés.
L’exécutif wallon affirme avoir obtenu des « clarifications essentielles » en matière de « sauvegarde agricole » et de « protection des services publics ». Pourtant, le CETA n’a nullement prévu une libéralisation totale, très loin de là. De nombreux secteurs agricoles font l’objet d’un contingentement. L’article 7.8 prévoit des garanties agricoles. L’article 28.3 permet aux parties de l’accord de prendre des mesures pour protéger la vie ou la santé humaine, animale ou végétale.
En matière de services d’intérêt public, l’article 8.9 du CETA affirme explicitement que l’accord préserve le droit des États membres à réglementer. Mieux encore, le CETA rompt avec l’approche traditionnelle et présente de nombreuses innovations. Il comprend de nombreuses normes de protections (articles 8.10 à 8.13), l’interdiction du « forum shopping », l’expression que les Anglo-saxons utilisent informellement pour désigner la possibilité pour un demandeur, rarement pour un défendeur, de se servir de la diversité des règles de compétences internationale concernant la saisie de tribunaux, et qui entraîne souvent une surenchère judiciaire (articles 8.22 et 8.24).
En passant, l’idée, malheureusement colportée par les médias de masse, voulant que d’éventuels litiges entre entreprises et États soient réglés devant des tribunaux privés relève de la fantasmagorie. Si l’on met en place des tribunaux ad hoc, c’est justement pour garantir l’impartialité et éviter que le gros (pays) n’exerce une pression (politique) sur le petit. C’est aussi pour cette raison que l’on s’efforce de mettre en place des juridictions multilatérales, et non plus bilatérales. En l’espèce, l’objectif clairement affiché par les parties est de parvenir à la création d’une Cour multilatérale de protection des investissements.
En l’occurrence, dans le CETA, et c’est une autre avancée majeure de ce traité, le système de protection juridique de l’investissement prévoit qu’un tribunal ICS (système de protection juridique de l’investissement) n’est pas compétent pour l’interprétation et l’application des lois nationales des États membres et de la législation de l’UE, ce qui permet d’éviter toute interférence avec la compétence des cours et tribunaux nationaux ainsi que de la Cour de Justice de l’Union européenne, un autre point dont se prévalent, à tort, M. Magnette et le Parlement wallon, qui ont « exigé » la remise d’un avis préalable de conformité par ladite Cour, ce qui était implicitement prévu par le texte du traité. Grand numéro de théâtre médiatique.
Par ailleurs, le texte du CETA prévoit le contrôle de l’interprétation de l’accord par les gouvernements (article 8.31), des conditions éthiques strictes pour les juges (article 8.30), la possibilité de rejeter les demandes non fondées (articles 8.32 et 8.33).
Concernant l’argument du « cheval de Troie » en attendant le TTIP, rappelons que « seule une compagnie soumise à la loi canadienne et ayant des activités commerciales substantielles au Canada peut soumettre une plainte contre un État membre de l’UE (article 8.1). Avoir une filiale canadienne pour une multinationale étrangère n’est donc pas suffisant pour introduire une plainte. Le cas d’un investisseur étranger qui ouvrirait une filiale avec pour seul objectif de déposer plainte contre l’UE en vertu du CETA serait prohibé par l’article 8.18 (3) du CETA : « Il est entendu qu’un investisseur ne peut déposer une plainte en vertu de la présente section si l’investissement a été effectué à la suite de déclarations frauduleuses, de dissimulation, de corruption ou d’une conduite équivalant à un abus de procédure. »
Par ailleurs, et en vrac, les normes en matière de protection du travail ou de l’environnement sont déjà incluses dans l’accord (chapitres 22 à 24). Le CETA prévoit la mise en œuvre des Conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT), la ratification de celles qui ne l’ont pas encore été (article 23.3.4), etc.
Tant pour la protection des droits sociaux que de l’environnement, le CETA interdit l’assouplissement des lois nationales sociales et environnementales qui visent à encourager le commerce et l’investissement, que ce soit en dérogeant auxdites lois ou en n’assurant pas leur mise en œuvre (articles 23.4 et 24.5).
Le CETA prévoit la participation de la société civile canadienne et européenne dans la mise en œuvre des engagements en matière de développement durable, d’environnement et de droit du travail et crée les forums adéquats à cette fin (articles 22.4.3, 22.5, 23.8.4 & 5, 24.13.5).
Il convient de noter que le CETA ne peut avoir aucune incidence sur les règles relatives à l’environnement et à la sécurité alimentaire dans l’UE. Les produits canadiens ne peuvent être importés et vendus dans l’UE qu’à la condition expresse de respecter pleinement la réglementation européenne en vigueur. Aucune exemption ne sera tolérée. Les OGM, entre autres, ne peuvent donc pas entrer en Europe.
Concernant le principe de précaution, cité dans la « motion TTIP » rixensartoise, précisons que la protection de la vie et de la santé des personnes et des animaux ou la préservation des plantes sont explicitement mentionnées dans la partie sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (chapitre 5, article 5.2). Le CETA comprend l’exception de l’article XIV du GATS précisant que rien ne peut empêcher les parties de prendre des mesures visant à protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou la préservation des végétaux (article 28.63). Il comprend aussi l’exception de l’article XX du GATT, au libellé quasiment identique que le précédent (chapitre 28, exceptions, article 28 (3)). Par ailleurs, dans le cadre du CETA, l’UE et le Canada se sont accordés pour mettre en place un forum de coopération réglementaire. Le but n’est certainement pas de niveler par le bas, bien au contraire. La fonction de ce forum sera d’aider et de conseiller les législateurs et les autorités de réglementation par l’échange d’expériences et d’informations utiles. Il n’aura aucun pouvoir décisionnel. À noter également que chaque partie peut se rétracter à tout moment (chapitre 21, article 21, 2 (6)). Difficile de faire mieux.
Concernant la protection des données, le CETA ne peut porter atteinte au cadre juridique européen. L’accord comprend l’exception de l’article XIV du GATS (chapitre 28, article 28.3).
Le CETA prévoit des garanties solides sur la protection des services publics. Un monopole peut opérer à tous les niveaux (national, régional, local) et cette protection s’applique à tous les secteurs, sauf les services informatiques et de télécommunication (voir la réserve sur les services d’utilité publique de l’annexe II)
Le CETA prévoit également une protection transversale des nouveaux services, la protection du statut des mutuelles, le maintien de la politique de soutien aux médicaments génériques, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, l’inclusion d’une clause sur les droits de l’homme juridiquement contraignante, etc.
Bref, le CETA est un exemple de traité de libre-échange conclu entre des parties de niveau de développement élevé et comparable et, le moins qu’on puisse, c’est que l’exercice de négociation auquel il a donné lieu, colossal, démontre qu’il est possible de parvenir à un accord en respectant strictement la liberté réglementaire de chacune des parties, tout en consolidant les garanties de protection de nos consommateurs et de notre environnement.
Il nous semblait utile de préciser ces quelques points afin d’éclairer le citoyen lambda. Une Commission européenne qui abat un travail plus qu’appréciable mais qui reste dans sa tour d’ivoire sans comprendre à quel point il faut communiquer sur ces matières. Des opinions publiques déboussolées. Et des Che Guevaras très en pointe en matière de communication.
André VERKAEREN, pour PROXIMITÉ Autrement